Dans un arrêté rendu public le 4 novembre dernier, le ministre des Enseignements Primaire, Secondaire, Technique et de l’Artisanat, Prof. Dodzi Komla Kokoroko, a démis 1192 directeurs des établissements préscolaire et primaire publics de leur poste. Cette décision a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Dans une interview accordée à la rédaction de la télévision togolaise (TVT) dans le journal de 20h du vendredi 5 novembre 2021, le ministre Kokoroko a été plus qu’imperturbable. Lecture.
TVT : Monsieur Le Ministre, que dites-vous de la grève des enseignants ?
Ministre : Un non-événement. Je rappelle que la gratification est une promesse et le gouvernement ne revient pas sur cette promesse puisque c’est un acquis. Que dit la FESEN? La FESEN de nouveau procède à une lecture lacunaire des dispositions qui encadrent les droits de grève dans le secteur de l’éducation. Pour autant, devant ce spectacle assez curieux, moi et mon collègue de la Fonction publique avions pris le soin de rappeler les basiques dans ce domaine en invitant les enseignants à un respect scrupuleux des dispositions sous peine de sanctions. Mais subitement, ceux qui ont été prévenus dans le cadre d’une lecture fine des dispositions se disent nous vivons la règle de l’arbitraire ; c’est de l’imposture. Notre République a besoin de responsabilité, notre République a besoin de boussole. La démocratie c’est la règle de la loi. Respectons tous la loi. Vous verrez que les choses se passeraient bien.
Vous allez sur les motivations de cette décision. Revenons aux termes de la décision lorsque l’opinion parle de renvoi et de licenciement. Est-ce bien cela ?
Renvoyer et licencier ; c’est dire que les gens sont dans des postures émotives et entretiennent de l’amalgame. De quoi est-il réellement question ? Lorsque vous observez une grève illégale, il y a des sanctions qui sont prévues par les lois en vigueur au Togo. Conformément à une jurisprudence établie, je rappelle que les droits de grève s’exercent dans le cadre des lois qui le réglementent. Le Togo est une République de droit. Sur ce point, nous ne faisons qu’appliquer les textes. En second lieu, sauf à méconnaître les responsabilités qui incombent aux chefs de service notamment les chefs d’établissement, il me semble pouvoir rappeler que lorsque l’autorité de police supérieure vous explique l’état de droit et vous appelle au sens de responsabilité, et que finalement les chefs d’établissement se permettent d’entrer en grève de façon illégale, que voulez-vous que je fasse. Que je continue par dialoguer avec eux? Il faut distinguer les chefs d’établissement des enseignants. Un chef d’établissement qui désobéit aux instructions à lui transmises s’expose à la rigueur de la loi parce qu’il est chef de service et responsable de l’organisation du bon fonctionnement du service qu’il incarne.
Vous évoquez la rigueur de la loi. Dans le cadre de votre arrêté, ces directeurs perdent-ils leur titre de directeur mais gardent leur qualité d’enseignant?
Il y a deux conséquences majeures à tirer de cette grève illégale. D’une part, les conséquences attachées à la grève illégale elle-même seront appliquées. Ce point n’a pas encore été touché. De l’autre, en tant que chef de service, ils doivent respecter un certain nombre de principes qui ont été méconnus en substance. Ces principes méconnus leur valent leur destitution. En clair, ils restent toujours enseignants mais renvoyés à la craie. Le reste de la procédure suit son cours normal. Les jours à venir nous apporteront davantage d’éléments.
Fermez-vous définitivement la porte des négociations ?
La doctrine des ministères, le nôtre singulièrement, reste le dialogue. Dans la journée du 4 novembre, nous avons reçu les syndicats y compris la FESEN. Nous avons fait le point sur les acquis du secteur de l’éducation et les défis. Aujourd’hui, nous avons besoin d’un secteur éducatif en idées et en actions. Il nous faut des réformes structurelles et structurantes. Notre système éducatif reste debout mais avec des forces et des faiblesses ; ces faiblesses doivent être corrigées. Au-delà de la gratification dont il est question, le gouvernement ne reviendra pas sur ce point mais ce n’est pas par coup de chantage que les choses se feront. La gratification reste une lecture tronquée du Protocole d’Accord (PA). Au-delà, il y a la question des Enseignants Volontaires (EV). C’est un vrai goulot d’étranglement. A la vérité, lorsque ces enseignants regardent ces EV qui sont payés au lance-pierres, sont-ils fiers? Nous travaillons de sorte à résorber ce problème qui est inacceptable. Dans cette perspective, lorsque nous mettons en place les périmètres pédagogiques, lorsque nous décidons de la revalorisation des charges statutaires ; ce sont des efforts partagés pour réduire cette catégorie vulnérable. C’est en cela qu’on parle de la République de la solidarité et de la fraternité au cœur du mandat social du chef de l’État. Nous devons regarder notre réalité en face. Les salles de classe sont construites par l’État. C’est un projet qui va se dérouler sur cinq (5) bonnes années. C’est de l’argent. Je voudrais avec beaucoup de recul et de compréhension par rapport aux enjeux du secteur de l’éducation plutôt que de se verser dans la petite politique ou dans du populisme social qui n’apporteront rien à un secteur stratégique que nous avons en partage et en commun.
Y a-t-il une alternative pour aller à une approche apaisée plutôt que d’aller au bras de fer avec les enseignants ?
Il n’y a pas de crise dans le secteur de l’éducation. Nous avions été pédagogues en rappelant aux uns et aux autres les dispositions en vigueur. Ceux qui ont décidé de passer outre doivent assumer les conséquences qui en résultent. Toutefois, ce n’est pas la République du bâton. Autant nous appliquons la règle du droit mais avec mesure en tenant compte de nos réalités. Les portes du dialogue sont toujours ouvertes mais il revient aux uns et aux autres de rentrer désormais dans un syndicaliste constructif. Je rappelle que la gratification ne peut être aujourd’hui au cœur d’un quelconque débrayage.
A vous écouter, la gratification n’était pas une revendication portée par les enseignants ?
C’était une question de prime portée par les syndicats. A l’époque, nous leur avions démontré clairement que le PA n’est pas soluble dans une telle interprétation. Toutefois, nous reconnaissons la place de l’enseignant dans notre société et vu leur exemplarité dans la période de la crise de la Covid-19, le gouvernement voudrait les accompagner par cette gratification exceptionnelle.
A vous en croire, c’est une question de temps ?
Exactement, c’est une question de temps. Cela leur avait été rappelé. Au cours de l’un de nos dialogues, mon collègue de la Fonction publique avait rappelé les différents investissements de l’État notamment la subvention de l’électricité, de l’eau, du carburant, etc y compris la suppression des frais d’inscription pour leur faire comprendre qu’il y a les tensions de trésorerie mais le gouvernement ne reviendra pas sur cette promesse qui d’ailleurs aura un effet rétroactif à partir de janvier 2021.
Vous voudriez une année scolaire normale, apaisée. Aujourd’hui, quelle est la solution ?
Nous incarnons la normalité de l’année scolaire, mais c’est à ceux qui s’agitent qui doivent comprendre que leurs méthodes sont inacceptables. Les portes de la discussion sont toujours ouvertes. Il leur revient de revenir. J’ai évoqué la réunion tenue le 4 novembre avec les syndicats sans exclusion.
Une amende honorable pourrait-il mettre d’eau dans la décision ?
Je n’ai pas de leçon à leur donner. Il leur revient de lire entre les lignes. Nos portes sont toujours ouvertes mais nous n’avons pas droit à des tergiversations. Nous avons une ambition pour le secteur de l’éducation. Il leur revient de rentrer dans les rangs et que nous puissions toujours échanger pour le bonheur de nos enfants et du corps enseignant.
Monsieur Le Ministre, y a-t-il un aspect sur lequel vous voulez insisté ?
Je voudrais simplement rappeler mes concitoyens que l’école pour nous est précieuse. Le gouvernement y prête une attention particulière. Il n’y a aucune décision irréfléchie dans le secteur de l’éducation. Au contraire, nous voudrions une transformation de l’école de la République, le dialogue respectable. Ceux qui sont sortis du rang aujourd’hui, je les invite à y retourner rapidement parce que le chantage ne construira plus cette République. On peut avoir des oppositions, on peut avoir des idées variées sur un sujet mais nous devons arriver à dégager des solutions plus fines et non de faux consensus ou des consensus mous qui sont de nature à nous revenir demain à la figure. Nous faisons avancer le secteur de l’éducation avec le soutien des plus hautes autorités de l’État. Je reste convaincu que l’école togolaise sera demain la meilleure pour le bonheur de nos enfants.
Source: TVT, Transcription : Godwin pour gakogoe.tg